Exposition : Verlaine Mania

Verlaine Mania d’Hubert Pauget est une exposition de quelques œuvres portraits du poète réalisées au pochoir entre 2014 et 2016 sur tissu, papiers et tapis. Le titre en aurait pu être tout aussi bien Verlaine multiple. Le peintre a joué dans ce projet qui utilise les maquettes de la série en inox de 2011 (revue n°2 et n°3) avec la diversité des effigies, la pluralité des bombages à l’aérosol, la variété des couleurs et même la disparité des supports. Mais ce qui est présenté dans cette salle de la Maison natale du poète est aussi un aspect de la Mania d’Hubert Pauget pour Verlaine. En effet, Paul Verlaine inspire cet artiste depuis une dizaine d’années autant par sa poésie et sa prose que par sa physionomie et son abondante iconographie.

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Mania Verlaine

Pendant l’été 2013, Hubert Pauget a exposé au Musée Verlaine de Juniville une rétrospective de ses illustrations de la poésie de Paul VERLAINE réalisées entre 2007 et 2013 : diverses représentations du Verlaine d’hier et d’aujourd’hui. Dans la grange ouverte sur le jardin, les illustrations peintes et sculptées en verre de synthèse des Fêtes galantes, les tapis peints des œuvres religieuses, dans la partie nuit du 1er étage, les peintures de Chanson d’automne et les gravures de Gaspard Hauser et dans le bistrot, les portraits en inox du poète. Les œuvres et les poèmes étaient enrichis des collections de l’artiste : livres originaux, journaux, revues, photographies, dessins du poète, ex-libris, lithographies, gravures, sculptures et partitions musicales… Et l’inspiration ne s’est pas tarie. Ce sont en 2016, plus de 85 œuvres de différentes tailles, sur et avec divers matériaux qui illumine l’œuvre verlainienne, poèmes et/ou les recueils entiers des Fêtes galantes, des Poèmes saturniens, de Sagesse, d’Amour, de Bonheur, de Parallèlement, des Liturgies intimes, des Romances sans paroles ainsi que des sculptures et des peintures de portraits.

L’œuvre plastique d’illustration d’Hubert Pauget convole avec l‘œuvre poétique de Paul Verlaine, la convoite. Ainsi que Mallarmé l’écrit dans le sonnet Tombeau « Il est caché parmi l’herbe, Verlaine » et il surprend en effet qui le cherche. Verlaine par sa manie de l’introspection et de la rétrospection est constamment dans la substance de son œuvre. Et il s’est dévoilé semble-t-il au peintre. L’omniprésence des contrastes et des paradoxes est une source de lumière et d’ombres significative dans le travail d’Hubert Pauget. L’œuvre reflète non seulement la poésie mais l’homme-poète lui-même avec la présence substantielle d’esprit et de corps de Verlaine dans la forme et le fond. Si Hubert Pauget a commencé son travail d’illustrateur avec Arthur Rimbaud, avec Une Saison en enfer, Le bateau ivre, Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, Le loup criait sous les feuilles, L’éternité, entre 1974 et 1991 avec une quatre vingtaine de peintures, son enthousiasme a été décuplé avec Paul Verlaine avec lequel il a pu concilier son art de maturité.

Peintre de la modernité, Hubert Pauget s’est éloigné des préjugés de lecture et d’interprétation « d’un poète de la brume, de la grisaille, de la rêverie » (E.-M. Zimmermann, Variété de Verlaine, réflexions sur la nature de la poésie, in La petite musique de Verlaine, Revue, P.13). Il a été sensible à la vacillation, entre composition et perception, d’un Verlaine qui tantôt « saisit une palette où se côtoient les couleurs les plus violentes qu’il applique sur une toile de fond sombre ; tantôt il choisit le burin du graveur et se limite aux formes et aux contours » (E.-M. Zimmermann, Magie de Verlaine, Étude de l’évolution poétique de Paul Verlaine, José Corti, 1967, P.281) puis plus assuré « n’exclut plus la forme quand il peint, ni la couleur quand il grave » (Ibid. P. 285) et qui finalement « peintre et graveur en vers », peut-être poète de paysages « sans formes ni contour, dont il dissout tous les éléments qu’il nomme. » (Ibid. P.300). Pour le peintre, Verlaine voit « sa vie, plus proche en cela d’un peintre que d’un poète. » (Ibid. P.280). Hubert Pauget rallie aussi Paul Claudel dans sa dénomination de Verlaine en « fils de l’Ardenne et de l’ardoise » (Accompagnements. Œuvres en Prose. Gallimard, Pléiade, p. 491.). Lui, peintre ardennais emploie des ardoises dans ses créations et en a utilisé pour illustrer « Le Ciel est par-dessus le toit» et « Il pleure dans mon cœur ». Hubert Pauget semble avoir investi également cette idée de Paul Claudel qu’« avec Verlaine se trouve illustrée la pensée du sage chinois : « Le nombre parfait est celui qui exclut toute idée de compter. » » (Ibid. P. 505). Il illustre vers, strophes, poèmes, recueils à son gré sans décompte de parité ou d’imparité, de correspondance numéraire dans les vers et les strophes. Seule la satisfaction guide la fin de l’inspiration. « La manière » de Paul Verlaine qu’elle soit théorisée avec l’Art poétique ou inspirée est celle d’un « maître incontestable des procédés » (E.-M. Zimmermann, Magie de Verlaine, Étude de l’évolution poétique de Paul Verlaine, José Corti, 1967, P.45) animé par un désir de renouveler les formes anciennes et de suivre les « stades successifs d’une évolution intérieure continue » (Ibid. P.12) sans que les œuvres soient présentées dans l’ordre dans lequel elles ont été composées. Les créations édifient ostensiblement « un ensemble unifié quoique varié. » (E.-M. Zimmermann, Variété de Verlaine, réflexions sur la nature de la poésie, in La petite musique de Verlaine, Revue, P. 9)

Improbablement, le visage de Verlaine a surpris le peintre, démasquant ses traits dans une illustration de Chanson d’automne et dans les suivantes. Apparition du poète ou illusion ? Le peintre a fait le choix d’accentuer les traits formés du faciès, parfaitement intégrés à l’atmosphère. Cette présence du poète, si perturbatrice et excitante amène à l’omniprésence de Verlaine et sème le doute sur sa dissimulation en Faune, en silhouette, en fantôme dans le décor des Fêtes galantes. Dans les gravures de Gaspard Hauser, c’est le peintre qui choisira vraisemblablement de placer dans la première et la dernière gravure les portraits de Verlaine et de Gaspard. Parallèlement au travail avec pochoirs commencé en 2014, quelques illustrations en ardoises de « Le ciel est par-dessus le toit » de 2014 ont été gravées inopinément de symboles évoquant les lunettes, la barbe, le chapeau du poète. Dans « Il pleure dans mon cœur », étrangement encore, le visage de Verlaine et celui de Rimbaud sont perceptibles. Verlaine a toujours été en proie à une destinée fatale dont il aurait voulu être maître. Il a sans cesse été obnubilé par ce qu’il était et vivait, ce qu’il aurait voulu être et vivre, ce que les autres pensaient qu’il était, par sa notoriété et sa postérité… Le poète n’est pas resté extérieur à son œuvre et il n’est pas apparemment plus extérieur mystérieusement à l’interprétation des œuvres d’Hubert Pauget.

 

Verlaine multiple

C’est une demande de création d’une peinture sur tissu pour un fauteuil ancien restauré par Denise Klein qui a déclenché la conception d’un fauteuil Verlaine. Le peintre a eu l’idée de décorer l’assise et le dossier en utilisant les dessins de Verlaine transformés en matrices. Pour cet ornement, il a choisi deux portraits (Fig.4 et 8) : le Verlaine, poète maudit et le dernier Verlaine, celui des Confessions et plusieurs coloris. Des tons mordorés et bleus foncés violacés, des couleurs en corrélation avec l’automne de la vie du poète et ses dernières années, années au cours desquelles Verlaine a été reconnu pour son génie poétique. Le bois du fauteuil a lui-même été repeint en doré. Comme l’inox, l’or réfléchit la lumière. Ce sont des couleurs-matière qui s’irisent en reflets chatoyants, illuminent l’œuvre et modifient l’impression visuelle.

La diffusion de la couleur vaporisée par aérosol laisse apparaître le pourtour du pochoir. Le tracé rectangulaire rappelle le cadre photographique. Il donne des lignes directrices rectilignes à cet enchevêtrement de traits physionomiques. Un peu comme des pages de vie qui se succèdent, qui se tournent d’avant en arrière… Les portraits alternent comme se suivent, se suppléent, se remémorent les épisodes biographiques.

Hubert Pauget mélange le passé avec le style ancien du fauteuil et le présent avec la modernité de la décoration et surtout assoit Verlaine, lui qui a brigué le fauteuil de Taine à l’Académie française en posant sa candidature en 1893, en la renouvelant en 1894 sans obtenir de voix, comme Emile Zola.

Ainsi, Hubert Pauget détourne l’usage dans les arts graphiques et l’art urbain de la technique au pochoir reproduisant la forme à l’identique et conservant l’identification du dessin, en superposant les pochoirs et en recourant même à plusieurs pochoirs différents du même sujet. Cette originalité, il va la renouveler en créant des peintures aux pochoirs sur papier.

 

La première peinture aux pochoirs a été réalisée en 2014. Hubert Pauget a choisi deux portraits. Ici Verlaine est accompagné de Rimbaud. Alors qu’il avait déjà fait un pochoir de Rimbaud dans les années 80, celui-ci a été spécialement dessiné. Il s’agit de Rimbaud jeune, tel qu’il a été peint par Fantin-Latour en 1872, et de Verlaine de l’époque des Poètes maudits, œuvre publiée en 1884. Dans cet ouvrage, Verlaine a rédigé un texte sur Rimbaud dans lequel il témoigne de son « amitié » et de sa « dévotion littéraire » :

Nous avons eu l’honneur de connaître M. Arthur Rimbaud. Aujourd’hui des abîmes nous séparent de lui sans que, bien entendu, notre très profonde admiration ait jamais manqué à son génie.

Les portraits d’Arthur et Paul rassemblés côte à côte ou tête à tête et reproduits respectivement en jaune, en rouge et en bleu se chevauchent légèrement. Un portrait bleu de Rimbaud sème le trouble par sa surposition en léger décalage sur celui en jaune, signe sans doute de la pagaille mise dans le ménage de Verlaine et présage d’un avenir divergent. Arthur est toujours quelque peu au-dessus de Paul, comme la marque d’une ascendance affective jamais reniée ou comme l’image d’une remémoration. Avec ces deux portraits, Hubert Pauget n’a pas représenté le couple. Il s’agit de Rimbaud au visage « d’ange » des souvenirs de Verlaine. Les couleurs aux tons chauds et froids ont sans doute été choisies pour l’évocation de l’idylle, puis de la discorde et de la rupture et enfin de l’éloignement. Malgré la séparation, Verlaine a continué à écrire sur Rimbaud poèmes et textes, même à produire des dessins et caricatures. Chaque duo de portraits est relié par un aplat de même couleur qui les rassemble indéfectiblement, qui cimente leur indissociabilité et leur destinée d’êtres bénis et maudits à la fois.

C’est en 2015 qu’il reprendra ce travail pour faire plusieurs œuvres sur papier clair ou doré ou avec un fond bleu (50×70 cm ou 50X65 cm). Parmi les portraits des huit sculptures en inox, Hubert Pauget en a retenu cinq (Fig. 2, 4, 5, 7, 8). Si les dessins ont été créés sans ordre, ils ont pour autant une position dans la chronologie de l’iconographie verlainienne. Avec ce travail aux pochoirs, les dessins sont superposés, multipliés, colorés, désordonnés, désorientés… À distance, le rendu de l’empilement des portraits est une composition abstraite, à proximité elle est figurative. Les portraits se différencient les uns des autres, notamment avec les éléments caractéristiques, chapeau, pipe, front, barbe, regard….

La multiplicité et la répétition des portraits créent cet effet de flou et de relief, d’imprécis et de précis, de pair et d’impair. L’impression est d’une représentation de Verlaine multiple. Verlaine apparaît multiplié avec un même portrait ou différents portraits différemment colorés et positionnés. Des portraits de Rimbaud sont mêlés dans certaines peintures. Il s’agit du portrait le plus célèbre d’Arthur à 17 ans, celui de la photographie d’Etienne Carjat en octobre 1871, « l’Enfant Sublime » (Les poètes maudits, Avertissement de l’édition de 1884, Pléiade, OP, p.635), reproduction du poète précoce à la jeunesse éternelle, cliché du mythe rimbaldien. Pourtant Arthur Rimbaud n’a été poète que de 1870 à 1874. Entre 1872 et 1874, chacun des poètes se nourrit l’un de l’autre et l’artiste les entremêle comme l’empreinte de leur indissociabilité. Mais Verlaine lui, a poursuivi l’audace du renouvellement de l’art poétique et l’innovation des formes nouvelles. Il a été poète et prosateur une vie entière et son iconographie est abondante tout au long de son parcours poétique et de sa vie d’homme, suscitant également moralement et physiquement beaucoup d’intérêt et de critiques. Les contours des dessins sont comme des fils tissés, emmêlés, enchevêtrés qui racontent son existence et ses aléas.

Dans la majorité des œuvres pochoirs, le portrait qui s’illustre le plus par sa fréquence, sa posture et cette couleur d’or est celui de la représentation de Paul Verlaine, Prince des poètes (Fig. 7). Le peintre prend le parti de redorer l’image du poète au propre comme au figuré donc. Il réédifie sa réputation et rafraîchit son apparence. Nulle dissension ici entre unité et multiplicité, entre le figuratif et l’abstrait mais une cohabitation riche. La couleur or et les objets décoratifs eux-mêmes, fauteuil, tapis, pare-feu renforce cette symbolique d’une richesse spirituelle et poétique chez Verlaine. Hubert Pauget réconcilie tous les Verlaine en les ramenant à un portrait multiple, une seule œuvre polychrome et une succession de portraits mélangés pour illustrer le poète. Ce qui fait de Verlaine le poète de génie qu’il est, c’est toute cette enfilade de vie en va et vient, cet emboitement, cette claudication…

 

Pour l’exposition, Hubert Pauget a réalisé un tapis portrait de 130 cm x 170 cm avec la figure de Verlaine, poète maudit (Fig. 4). L’artiste a déjà utilisé ce support pour illustrer l’œuvre religieuse du poète. Dévoilée en juillet et août 2013, dans le Musée de Verlaine de Juniville, la trilogie Sagesse, Amour, Bonheur a été exposée en avril et juin 2014 dans l’église Notre-Dame à Metz, église où Paul Verlaine fut baptisé le 18 avril 1844. Le 10 janvier 2016, ces tapis lors de l’exposition de juin 2015 à février 2016 dans l’Église Saint-Rémi de Charleville-Mézières, ont été bénis à l’occasion de la messe du Père Vincent Di Lizia, de manière fortuite le jour même de l’anniversaire des 120 ans des obsèques du poète à Paris. Une église dans laquelle fut baptisé et célébrée la première communion de Rimbaud.

Le tapis ancien aux motifs fleuris a été recouvert de peinture aérosol blanche sur une surface centrée rectangulaire. Le pochoir agrandi a été dessiné à l’aide de feutres acryliques noirs. Puis le peintre a cerclé de bleu l’encadrement du portait et de bleu et rouge le pourtour fleuri du tapis. Cette fois encore le décor du tapis reste visible. La dialectique du passé et de la modernité est toujours omniprésente mais ici le décor fait œuvre de mise en valeur et en relief d’une manifestation du poète. Ce blanc laiteux duquel apparaît un Verlaine, inquisiteur de sa renommée. Le choix du poète maudit est sans doute pour Hubert Pauget celui qui s’est imposé parce qu’il rassemble les singularités les plus populaires du poète, chapeau, pipe, barbe et vieillesse et misère…  Mais c’est également celui qui représente le poète maudit…